Depuis une vingtaine d’années, l’apport des nouvelles technologies a modifié en profondeur la scène théâtrale et avec elle, le jeu de l’acteur. Désormais les corps de chair y côtoient fréquemment les corps synthétiques ou hybrides, créant des corporéités mixtes, «mi-chair, mi-calcul» (Couchot) dont l’équilibre varie selon les choix esthétiques des artistes (metteurs en scène, acteurs, concepteurs du spectacle). Que devient l’acteur dans cette confrontation avec la scène transformée? Quelles techniques de jeu ces nouvelles modalités scéniques imposent-elles aux performeurs? Comment les esthétiques nouvelles qui dérivent de ces mutations conjuguent-elles la juxtaposition du charnel et du virtuel? Comment se déploie, dans ce contexte, la présence du performeur? Comment se gère son énergie? Son rapport à la voix? À l’espace? Au temps? Au mouvement?
Le colloque que nous envisageons sera consacré à ces questions et, plus particulièrement, aux formes d’interaction entre l’acteur et les technologies sur la scène, quelque forme qu’elles revêtent (écrans, caméras, micros…) afin de montrer en quoi ces interférences bouleversent les théories du jeu qui ont prévalu jusqu’ici.
Face aux nouveaux dispositifs scéniques, l’acteur se voit contraint de développer des stratégies de travail inédites, lesquelles doivent mener à un jeu souple naviguant entre présence réelle et présence médiatisée. Le metteur en scène lui-même, développant de véritables talents de vidéastes, voire de cinéastes, se trouve au coeur de ce travail de création (FC Bergman, Bud Blumenthal, Guy Cassiers, Romeo Castellucci, Pippo Delbono, Heiner Goebbels, Ivo van Hove, John Jesurun, William Kentridge, Elizabeth Lecompte du Wooster Group, Robert Lepage, Caden Manson et Jemma Nelson du Big Art Group, Simon McBurney de Complicite, Denis Marleau, Katie Mitchell, Fabrice Murgia, Markus Öhrn, Jean-François Peyret, Alain Platel, Jay Scheib, Cyril Teste, Wim Vandekeybus, Marianne Weems, Kris Verdonck ainsi que les compagnies Berlin, CREW, Forced Entertainment, Gob Squad, Motus, Ontroerend Goed, Rimini Protokoll, Station House Opera… pour n’en citer que quelques uns). Aidé de tous ses collaborateurs, et du travail du comédien qui demeure au centre de la scène, il traduit le dialogue des corps (charnels et virtuels) en formes de présences scéniques modifiées, en altérations de l’art de dire. Comment se déclinent ces modifications au jeu scénique? Ont-elles une incidence sur les fondements du jeu d’acteur tel que véhiculé par des approches plus traditionnelles?
Confrontées à ces changements qui touchent la scène contemporaine, comment réagissent les écoles de formation de l’acteur? Demeurent-elles fidèles à une certaine conception plus traditionnelle du jeu corporel et de l’interprétation des textes? Comment négocient-elles la mutation des formes de jeu? Si toute une mouvance artistique modifie l’intégration de la présence de l’acteur en scène – et par le fait même son implication lors du travail de création – ne faut-il pas repenser la formation de l’acteur?