Le premier Rendez-vous du programme de rencontres
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Un grand merci à Anna-Maria Monteverdi qui a fait un compte-rendu de la journée
Ce premier Rendez-vous intitulé « Le théâtre dans la sphère du numérique » s’est déroulé face à un important public d’artistes, de chercheurs, de professionnels des arts de la scène et d’étudiants français et étrangers. Après une présentation du programme et de la journée par Anomos et Dédale puis Franck Bauchard, conseiller Théâtre au Ministère de la Culture et de la Communication, Bernard Stiegler, Directeur de l’Ircam, a proposé une introduction générale de la question « arts de la scène et technologies ».
Le programme a ensuite abordé les trois étapes suivantes :
Arts de la scène et technologies, la création contemporaine en perspective historique.
Cette première partie était organisée autour de deux axes :
– Les précurseurs : les avant-gardes de 1900 à 1960.
– Le choc du numérique : quelques expériences significatives de la question « arts de la scène et nouvelles technologies » de 1960 à nos jours.
Les nouvelles formes scéniques, panorama européen.
Il s’agissait ici de dresser un état des lieux européen des acteurs et des projets artistiques, de dégager, par pays ou zone géographique, les grandes tendances actuelles et de montrer comment les caractéristiques culturelles propres à chaque pays influent sur cette question des rapports arts de la scène et technologies. Les questions professionnelles (lieux de production, de diffusion, festivals) ont également été abordées. Les trois zones géographiques qui ont fait l’objet d’une attention particulière sont : l’Europe du Sud (Italie), l’Europe du Nord (Allemagne, Pays-bas) et l’Europe de l’Est (Pologne).
Arts de la scène et technologies, la création contemporaine en perspective historique.
Les précurseurs
Dans le cadre de la section dédiée aux précurseurs, la directrice du Laboratoire de Recherches sur les Arts du Spectacle du CNRS Béatrice Picon-Vallin (qui était absente, mais dont le texte a été lu par Clarisse Bardiot, collaboratrice du programme « Création numérique, les nouvelles écritures scéniques ») a proposé une interprétation de la scène technologique contemporaine qui s’inspire des avant-gardes du 20ème siècle : la scène actuelle serait une dernière contribution au thème de la conquête d’un théâtre de l’expression totale et d’un nouvel espace scénique généré non pas à partir de la peinture ou de la littérature, mais de la lumière et du mouvement :
« La scène architectonique » de Craig, la scène constructiviste ou celle du Bauhaus, génèrent des machines à jouer, échos des recherches de l’avant-garde plastique, capables entre autres innovations radicales, de découper l’espace tridimensionnel en une série de cadres précis dans lesquels et entre lesquels le comédien devra maîtriser le mouvement scénique, le jeu se voyant défini comme maîtrise des formes plastiques dans l’espace. La lumière tend également à éliminer la peinture pour distribuer elle-même dans l’espace qu’elle fluidifie couleurs et mouvements (…) Aujourd’hui, la machine à jouer se fera machine à projeter des images, et le jeu des comédiens devra tenir compte de celles-ci, fixes ou animées, qui peuvent habiter l’espace dans son ensemble, apparaître sur toute surface constituant le dispositif, et non plus seulement sur les écrans suspendus au dessus de la scène ou placés au fond du plateau (comme dans les années 20) – images qui peuvent même capter l’acteur en direct et être retraitées, toujours en direct, images surgies, fantomatiques, toujours au bord de l’évanouissement, de la disparition, par lesquelles l’acteur de chair est redoublé, agrandi, magnifié ou sous surveillance.
(B. Picon-Vallin, Un stock d’images pour le théâtre. Photo, cinéma, vidéo, in B. Picon-Vallin, sous la direction de, La scène et les images, Paris, CNRS Editions, 2001, p.21-22).
Béatrice Picon-Vallin propose une subdivision temporelle en cinq actes de cette histoire du théâtre technologique à laquelle tous les facteurs ont contribué de manière directe, qu’ils soient de nature sociale, politique, idéologique ou économique.
1. Les années 20 en Russie
2. Les années 20-30 en Allemagne
3. Les années 50-60 à Prague
4. Les années 60 aux Etats-Unis
5. Les dernières vingt années du 20ème siècle en Europe et aux Etats-Unis
Béatrice Picon-Vallin a porté une attention particulière au « théâtre de la totalité » de Moholy-Nagy, à l’acteur-marionette d’Oskar Schlemmer et à son célèbre ballet triadique et à Josef Svoboda, le scénographe tchèque, inventeur de la « Lanterne magique » et du système de poly-projections Polyécran présenté à l’exposition universelle de Bruxelles (1958). Des extraits du documentaire biographique de Denis Bablet Jospef Svoboda scénographe (1983) ont été présentés. Un des extraits montrait le spectacle Intolérance 1960, sorte de manifeste pour une idée d’un théâtre multimédia (ayant de nombreuses implications politiques), qui a été créé en 1960 avec le musicien Luigi Nono sur le livret d’Angelo Maria Ripellino pour la Fenice de Venise dans un premier temps (mais les images furent censurées) et pour Boston dans un second temps. Cette dernière version prévoyait la substitution des images cinématographiques avec un système de reprise télévisuelle à circuit fermé : c’était en somme, comme le rappelle Bablet, « une nouvelle forme d’opéra, un nouveau type de théâtre total ».
Lire le texte de l’intervention de B. Picon-Vallin
Sylvie Lacerte, ex-directrice générale du Find lab (laboratoire international de recherche et de développement de la danse) de Montréal et doctorante à l’UQAM, a proposé l’exemple pionnier des EAT – Experiments in Arts and Technologies — l’organisation fondée conjointement en 1966 par les ingénieurs Billy Klüver et Fred Waldhauer de la téléphonie Bell et les artistes Robert Raushenberg et Robert Whitman. Cette organisation a été lancée lors de la manifestation 9 evenings : theatre and engineering qui s’est déroulée en 1966 à New-York. Il s’agissait de performances qui mêlaient ensemble danse, théâtre, musique et vidéo. Parmi les artistes présents, il y avait : J. Cage, S. Paxton, D. Tudor, R. Rauschenberg, L. Childs. Sylvie Lacerte a travaillé à la reconstruction détaillée de ces œuvres artistiques qui intégraient de façon inhabituelle les technologies. Comme le rappelle la chercheuse dans son texte sur l’histoire de l’EAT, en ligne sur http://www.olats.org :
Pour la mise sur pied de cet événement, un système électronique environnemental et théâtral fut inventé par l’équipe des ingénieurs. Le THEME – Theater Environmental Module – fut mis sur pied pour répondre aux besoins de dix artistes, en fonction de situations théâtrales bien spécifiques. Le THEME, qui n’était pas visible de la salle, permettait entre autres, le contrôle à distance d’objets et la possibilité d’entendre des sons et de voir des faisceaux lumineux provenant de sources multiples et simultanées.
Sylvie Lacerte a montré un extrait d’une des neuf performances, Open score de R. Raushenberg et J. MC Gee (ingénieurs ) avec Franck Stella et Mimi Kanarek, qui jouaient une partie de tennis avec des raquettes dont les manches étaient équipés de micros sans fil qui amplifiaient le bruit de la balle.
Le choc du numérique
Dans la seconde section du panorama historique, Christopher Balme, professeur de théâtre et directeur du Département Arts du spectacle de Mayence (Allemagne) a proposé une intervention sous le nom de « Contamination et déploiement ; théâtre & technologies 1960-2003 ».
Dans cette intervention, Balme traçait trois trajectoires du rapport entre théâtre et technologies :
– l’art vidéo
– le théâtre multimédia
– la performance numérique et la performance à travers Internet
Après avoir anticipé les positions anti-technologiques du théâtre des années 60, en particulier celles de Jerzy Grotowski et Peter Brook, Balme a souligné très justement à quel point cette querelle du théâtre et des technologies est un sujet encore largement débattu. Pour la partie relative à la première vague de l’innovation technologique, les expériences artistiques de Nam June Paik, mais aussi celles de Jacques Polieri dans les années soixante ont été évoquées ainsi que les œuvres vidéos de Bill Viola et les spectacles de Giorgio Barberio Corsetti pour la période relative aux années soixante-dix et quatre-vingts. Balme soutient que ces artistes, pourtant éloignés dans leur pratique artistique, ont tous en commun une même attitude esthétique qui cherche à dépasser la dichotomie traditionnelle entre l’art et la technologie. En référence au passage de l’art vidéo à la scène, certains artistes de la soi-disant « scène multimédia » états-uniennes dont le Wooster Group d’Elizabeth Lecompte, pionnier dans l’utilisation sur scène de la vidéo, live et préenregistrée, ont été cités.
Rappelons-nous le spectacle Brace-up ! :
Brace up!, mise en scène de Elizabeth LeCompte: Scott Renderer, Jeff Webster (sur le grand moniteur), Paul Schmidt (sur le petit moniteur), Kate Valk. (photo © Mary Gearhart) |
Leur travail est poursuivi de façon parfaite par John Jesurun et The Builders Association (on se souvient en particulier du spectacle Everything that rises must converge, 1990). L’interaction entre l’action de l’acteur et de la vidéo est un postulat important selon Balme pour le développement de la performance numérique et à travers Internet.
Balme a présenté certains extraits du spectacle de Robert Lepage Les sept branches de la rivière Ota, premier projet théâtral réalisé avec la compagnie pluridisciplinaire Ex Machina dans lequel le metteur en scène canadien développe une trame visuelle faite de silhouettes, corps, images vidéos littéralement mêlés ensemble de façon à former un théâtre d’ombre muet, métaphore visuelle de la persistance de la mémoire d’Hiroshima dans le monde occidental et oriental. Dans la seconde partie, relative au numérique, Balme a parlé de la première performance sur Internet, Hamnet (1993) des Hamnet Players de Stuart Harris.
Il s’agit d’une performance réalisée via un système de chat à travers le canal Internet Relay Chat (IRC) #hamnet. L’essai en ligne de Brenda Danet offre une lecture précise de cette expérience :http://jcmc.huji.ac.il/vol1/issue2/contents.html.
Lire le résumé de l’intervention de Christopher Balme (en anglais)
Les nouvelles formes scéniques, panorama européen.
L’Europe de l’Est : l’exemple de la Pologne
Pour le panorama européen, Izabella Pluta-Kiziak, doctorante à l’Université de Silésie (Pologne), a proposé une intervention intitulée « Entre l’Internet et la réalité post-communiste » avec des fragments vidéos des spectacles de Komuna Otwock : Bez tytulu et Trzeba zabic pierwszego boga.
Desing: Gropius / Dlaczego nie bedzie rewolucji – Komuna Otwock. |
La chercheuse a rappelé que le phénomène du théâtre et des nouvelles technologies est totalement différent en Europe de l’Est par rapport à l’Europe de l’Ouest ou aux Etats-Unis. L’actuel changement politique est d’ailleurs un facteur déterminant de ce phénomène. Il existe cependant des implications économiques et de forts liens avec la tradition théâtrale qui freinent une réelle expérimentation dans cette direction.
La chercheuse a proposé :
– un cadre historique de ce que l’on appelle le théâtre alternatif après 1989 et la direction du théâtre de recherche polonais à partir de la question « Peut-on vraiment introduire les nouvelles technologies dans le théâtre polonais après Grotowski et Kantor ? »
– un panorama des manifestations, festivals, centre de ressources. Entre autres, ont été présentés : le Festival international de théâtre alternatif Réminiscences théâtrales à Cracovie, Malta-Festival de Théâtre à Poznan (http://www.malta-festival.pl/) et WRO Centre (http://www.wrocenter.pl/), Centre des arts des médias à Wroclaw (qui organise la biennale des arts des médias).
– La génération des metteurs en scène « plus jeunes, plus talentueux », qui utilisent la vidéo sur scène : Grzegorz Jarzyna avec Psychosis 4.48 ; Anna Augustynowicz, Mloda smierc, Balladyna.
Lire le texte de l’intervention d’Izabella Pluta-Kiziak
L’Europe du Nord : l’exemple de l’Allemagne et des Pays-Bas
Meike Wagner, professeur en arts du spectacle à l’Université de Mayence a présenté deux projets :
– Alientje (2002) du groupe holandais Wiersma & Smeets qui travaille avec des projections, des personnages en papier, des objets filmés avec un simple système audiovisuel. Il s’agit d’un projet pour enfants.
– Cyberpunch (2003) du groupe théâtral de Thomas Vogel à Berlin. Il s’agit d’un projet de « cyberstage » avec des personnages virtuels en interaction avec des marionnettes et des acteurs réels sur scène. Le « cyberstage » de Thomas Vogel est un work in progress.
L’Europe du Sud : l’exemple de l’Italie
Pour le panorama italien, Anna-Maria Monteverdi a proposé une digression sur trois aspects historiques :
– l’héritage du théâtre-images : panorama du théâtre de recherche italien enrichi par la présence des médias sur la scène et l’héritage du théâtre-images des années soixante-dix.
– Le videoteatro italien : de la post avant-garde à la « nouvelle spectacularité » : Giorgio Barberio Corsetti, Studio Azzuro.
– Teatri 90 et la « Troisième vague » : la nouvelle génération du théâtre italien.
Et, comme cas d’étude, Giacomo Verde de Teleracconto et Storie Mandaliche 2.0 ; et la compagnie Motus : « de l’installation au théâtre » (Twin rooms).
Motus est une compagnie de théâtre basée à Rimini (Italie) et dirigée par Daniela Nicolò et Enrico Casagrande. Ex Generazione Novanta, Motus est une jeune compagnie qui s’inscrit d’ores et déjà parmi les compagnies historiques. Leur théâtre traverse depuis toujours les territoires les plus variés de la vision : cinéma, vidéo, architecture, photographie…, une visio éclectique et multiforme, irrespectueuse des spécificités de genre qui transpose sur scène les techniques du cut up, du découpage, du mixer et du montage. Dans le projet Rooms qui atteint son point culminant avec Twin Rooms, ils mettent en scène De Lillo et le cauchemar de la vidéosurveillance. La ville comme une mosaïque de micro-visions – énorme « digital room » contiguë à la scène-dispositif représentant une chambre d’hôtel – accueille un amas incontrôlable d’images et une tentation psychotique à leur consommation.
Giacomo Verde est « médiactiviste », computer artist et technoperformer. Il a construit son esthétique sur l’idéologie dulow tech pour socialiser les savoirs technologiques. Par le biais du théâtre, il soutient la cause de la démocratie et de l’accès aux technologies et pose la question politique des images télévisuelles. Le teleracconto — ou le fait de filmer en direct des objets en gros plans, conjointement à leur vision sur moniteur (critique ironique de l’univers médiatique) selon une modalité théâtrale (techno) narrative pour enfants — est devenu un procédé clé de son théâtre : les images sont créées en live et les effets numériques constituent la toile de fond vidéo qui se modifie suivant le cours de la narration en OVMM inspiré des Métamorphoses d’Ovide. C’est une manière d’affirmer de façon provocatrice que « la télévision n’existe pas » et que « toutes les images sont abstraites ». Storie Mandaliche 2.0 (2003) créé avec Zonegemma et Xear.org est l’un des premiers exemples de spectacle interactif appliqué à une dramaturgie hypertextuelle (textes d’Andrea Balzola).